Doc:Allons-nous vers une intelligence collective ?

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Internet et noosphère

L'internet préfigurerait-il la noosphère annoncée par Teilhard de Chardin ? D'aucuns n'en ont jamais douté, d'autres ne voudraient pas manquer de respect au célèbre paléontologue en rapprochant son concept de la toile telle qu'elle peut apparaître aujourd'hui – comme un hyper-hypermarché (le premier 'hyper' est à prendre au sens de 'hyperlien', 'hypertexte') –, concept que je me dois avant tout de rappeler par un succinct résumé.

Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955)

Après avoir étudié les grandes étapes de l'évolution (Prévie, Vie, Pensée), Teilhard de Chardin prédit une organisation systémique de la Pensée en noosphère, comparable à celle de la Vie en biosphère, appelée à aboutir à la convergence de toutes les pensées individuelles en un « hyper-psychisme » (déjà l'hyper sous la plume de Teilhard) : « système autonome de circulation, d'innervation, et finalement de cérébration ».

L'évolution technologique de l'internet

Si nous observons les technologies internet, elles offrent indéniablement un système nerveux à l'organisme pressenti en construction, et, plus important encore, elles se développent dans cette direction (« web 2 », « web sémantique », langage « RDF », l'aspect technique de la question n'entre pas dans le cadre du présent article).

Pensée collective

Réfléchir sur un sujet à partir d'une documentation livresque, aussi imposante soit-elle, afin de produire un écrit (généralement de synthèse avec quelques idées nouvelles), diffère fondamentalement d'une pensée à plusieurs, en temps réel, instantanément utilisée dans des domaines connexes par d'autres entités réfléchissantes, récupérant elle-même sans cesse le produit d'autres agrégations cogitantes. Tout ceci en un flux ininterrompu.

Déshumanisation ?

Si l'on admet, au niveau technique, la possibilité prochaine d'une telle forme de pensée continue dont on aperçoit déjà les prodromes, si de surcroît, on imagine dépassés l'excès, la redondance et l'absence de fiabilité de l'information auxquels se heurte le réseau actuel, si enfin on espère évacué le problème de la pollution publicitaire, il restera une question de taille : la place du moi dans cet internoos. Renoncerai-Je à voir Mon travail aboutir en une forme fixée sur un support matériel avec Ma signature au bas du document ? Quelle satisfaction retirerai-Je de Mon infime contribution à cette gigantesque pensée vivante, ou de cette pensée vivante elle-même ? Comment se manifestera Ma part de création ? Où se logeront les sensations, émotions, intuitions qui interagissent avec la pensée dans l'acte de recherche ? Également à un niveau collectif ? Quel sera alors le moteur de l'individu ? Individu déshumanisé ?

... ou surhumanisation ?

« Surhumanisé » répond Teilhard. Détachons-nous un instant de notre ego pour le suivre en voyant en l'internet un pas vers cette révolution offrant à « un nombre croissant d'individus la possibilité de se joindre et de s'unanimiser toujours plus étroitement au feu inextinguible de la recherche en commun », adhérons à son rafraîchissant optimisme en nous disant que les marchands qui veulent asservir ce qu'ils prennent pour une machine à fabriquer des consommateurs servent eux-mêmes une force plus puissante d'évolution, devenant, à leur insu, son instrument pour créer une conscience collective.

Et si au lieu de débattre sur la question de savoir si l'internet va transformer notre existence, nous nous demandions quelle pulsion de transformation de notre existence a pu nous conduire à inventer l'internet ?

Bibliographie

Pierre Teilhard de Chardin : Le phénomène humain (Seuil, 2007)

Source

Article écrit en juin 2007 Dany Orler pour la revue La Faute à Rousseau. Publié dans le n°45.